lundi 1 août 2011

Il l'aimait (3)

Une identité à retrouver…


Vingt ans s’écoulèrent, avant qu’il ne remette les pieds sur ce sol chéri. Vingt ans d’impatience mais aussi d’inquiétude parce que ses frères souffraient de la folie des Hommes, de l’aveuglement des fanatiques, des sombres desseins des politiciens. Vingt ans de chaos où l’essentiel de la vie c’est la survie. Vingt ans de doutes, de colère, d’impuissance, de courriers sans réponse, de matraquage médiatique, de brouillard, de peur, de douleur. Mais vingt ans de la conviction que le retour serait là, que cette terre renaîtrait à nouveau de ses cendres. Les barbus ne pourraient rien, face au peuple courageux, face à la raison, face à la nécessité de doter ce pays d’une démocratie. Les tangos pouvaient massacrer, tuer lâchement Mohamed Boudiaf, espoir de tous les espoirs. Rien ne pourra entraver la marche en avant de ce peuple qui avait conquis la liberté, au prix du sacrifice de tant des leurs.

Durant toutes ces années, il suivait autant qu’il le pouvait ce qui secouait l’Algérie. Il était d’autant plus inquiet qu’il avait découvert avec stupeur combien les Algériens accordaient peu d’importance, c’est bien le moins que l’on puisse dire, à leur histoire. Il est persuadé qu'aujourd'hui son pays, l'Algérie, paie très cher l'erreur qui a consisté à :
- quasiment faire « table rase du passé »

- officiellement laisser les jeunes générations dans l'ignorance de l'origine de leur liberté

- faire comme si, sous prétexte d'un puissant mouvement de libération du pays, l'essentiel était fait avec un Pays souverain, alors qu'il restait à donner à cette terre une identité politique, à installer des choix économiques, à préserver les droits de tous les citoyens, à bâtir une Algérie prospère, vivant de ses nombreuses richesses et de ses traditions.

Faut-il se lamenter des impasses qui ont été opérées ? Faut-il ensevelir les mauvais choix, les utopies ? Il ne le pense pas. La force d'un Peuple est de tirer les leçons du passé. Ça paraît banal, convenu, mais il est bon de le rappeler.

Il a pu se rendre compte combien ces questions pesaient sur l'avenir de l'Algérie. Il a multiplié les contacts, durant un mois, avec des milieux très différents. Il en ressortait toujours la même chose : les Algériens, dans leur ensemble, n'avaient plus d'Histoire soit parce qu'ils ne voulaient pas en parler pour les plus anciens, soit parce qu'ils l'ignoraient pour les plus jeunes ou, pire encore, parce qu'ils la balayaient d'un revers de la main pour toute une bande de privilégiés, gravitant autour de l'armée et des affaires, pour qui la seule Patrie était, de leurs propres aveux, l'argent, surtout celui qui résultait du trafic et qui enterrait un peu plus chaque jour l'Algérie. Cette dernière catégorie est sans doute celle qui l'a le plus inquiété. Il a aussi réalisé à son contact, combien la France avait de responsabilité dans l'état pour le moins précaire de l'Algérie
Toujours à cette époque, Il a fait des rencontres édifiantes, au grès de ses déambulations constantinoises. C'est ainsi qu'alors qu’il descendait la rue Rouhault des Fleury, celle aux arcades que l'on nomme maintenant rue Abane Ramdane, porté par une force invisible, il s’est arrêté devant l'étal bien garni de, ce qui fut un de ses rendez-vous secrets préférés, son ex marchand de beignets. La boutique était la même, au carreau de faïence blanc et bleu près ! Les Zlabias étaient toujours présentes, en bonne place et son envie était intacte. Sans doute que ses yeux brillaient, pas seulement par les larmes de bonheur, mais aussi par le souvenir sirupeux de ces friandises irrésistibles. L'odeur des beignets lui rappelait son enfance et son attirance systématique vers cette tentation à chaque sortie d 'école, lorsqu’il descendait les escaliers venant du Coudiat et qu’il reniflait ces effluves bien familières. Il lui arrivait assez souvent de s'arrêter soit parce qu'une pièce de 5 F traînait dans ses poches, soit parce qu’il s'était appliqué à chaparder cette somme dans le porte monnaie de maman en vue de cet usage ou, plus tard, de l'achat d'une cigarette « Mélia », sous les arcades, un peu plus haut, ou encore qu’il avait fait le crochet par le chantier que dirigeait mon grand-père, derrière le Sacré Cœur, aujourd’hui devenu mosquée, et qui se trouve être aujourd'hui l'Hôtel des finances, crochet quelque peu intéressé puisqu’il savait qu'en principe il récoltait quelques fonds au passage et même que les jours de paie, le grand patron, monsieur Alessandra, en rajoutait, histoire qu’il ne soit pas en reste puisque chacun touchait sagement son enveloppe dans l'ordre d'une file d'attente impeccable et joyeuse, le taquinant au passage.
Alors, donc que ce jeune garçon préparait sa commande, porté par l'ambiance et les souvenirs, il lui parlait de cette époque où c’était la guerre et où il fréquentait ce lieu. Ses yeux s'ouvraient de plus en plus grands, au fur et à mesure de ses divagations. Il comprit assez vite que tout cela était surréaliste pour lui et que son discours devait lui paraître aussi hermétique que la théorie de la relativité d'Einstein ! Il ne résistait pas à l'envie de lui resituer tout ça, mais à l'évidence en vain car manifestement c'était à des kilomètres de son univers. Toujours est-il qu'il parut soulagé de son départ de sa boutique…

Ce sont des rencontres comme celles-ci qui, peu à peu, l'ont conforté dans l'idée qu’i ne pouvait pas rester spectateur de ce qui se passait dans SA ville, dans SON Pays et les évènements ultérieurs n'ont fait que lui confirmer ce sentiment.

C'est sans doute de ces méandres qu'est née l'idée de faire quelque chose à son niveau pour SON Pays. C'est de là qu'est venue l'envie irrépressible de revenir à Constantine pour aller à la quête de sa véritable identité.

A suivre...

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