dimanche 17 mai 2009

Je tipase

Difficile ! Difficile d’oublier son passé. De faire table rase d’une Chronique portée en soi depuis des millénaires.

Et puis pourquoi oublier, Oublier quoi ? Qui ?

Trier les souvenirs, choisir les bons moments, ne garder que le meilleur en rejetant le pire.

Oublier pour mieux vivre demain.

Est-ce là que réside l’espoir tant attendu ?

Une visite dans le temps m’a permis de remettre ma pendule à l’heure. Figé depuis des siècles, j’attends comme tant d’autres, le signal du départ.

J’étais, hier encore, encore une fois, à Tipasa. Dans ces ruines que visitent toujours des âmes en détresse à la recherche de leur ombre. Tout, oui tout, a été dit, raconté, écrit, commenté, chanté sur Tipasa louée comme une reine vénérée.

Tipasa dont la mer flatte sans cesse les flancs dans un mouvement langoureux, presque charnel. Tipasa et ses ruines qui enfoncent plus profondément des racines chaque jour. Des ruines qui racontent, des arbres qui bercent des illusions fragiles. Des pierres qui parlent une langue inconnue.

Je triomphe, je ris, j’exulte, je jouis et je hurle de plaisir dans une communion parfaite.
Tipasa solitaire se veut gardienne de la mémoire. Vigile aux aguets, elle épie les moindres mouvements des fantômes qui errent.

Le décor est planté. Le Théâtre peut enfin ouvrir ses portes sur une pièce en un acte. Un acte décisif, fondateur, sublime, sexuel, bestial, primaire, primitif. Acte de naissance d’une cité qui réclame ses droits comme un dû exigé.Tipasa c’est hier, c’est demain, c’est toujours, c’est jamais, c’est ici, c’est nulle part ; c’est aussi la vérité, le mensonge, l’espoir étouffé, le dernier désespoir, la crainte, la violence, la force, le pouvoir, la pudeur et l’excès, la démesure, la culture, la campagne, la ville, la cité, la famille, le peuple, la liberté, la prison, l’honneur, l’ignorance ; c’est la mort, c’est la vie.

Et puis il y a ces bras qui se tendent, ces mains qui se tournent vers Soi pour une prière rituelle, ce soleil qui rougit de plaisir, ce ciel qui aspire, ce souffle imperceptible, régulier, saccadé, ces rugissements lointains, ces appels qui résonnent dans le silence de la nuit.

Tipasa, la belle, la douce, se veut parfois violente, dure, terrible, agressive, méchante. Elle impose son rythme, ordonne, juge, condamne et accorde son pardon dans un geste lent, magique, imperturbable souveraine.J’ai découvert Tipasa il y a bien longtemps. Bien avant qu’elle n’existe ! Je l’ai enfantée après avoir consommé une nuit de Noces épiques. Je l’ai aimée comme on aime vraiment, libre d’être enchainé, fasciné par une aura dont je me suis nourri.

Je l’ai aimée comme on aime une idée aux contours parfaits, humaine, inaccessible déesse.

J’ai aimé le vent qui courtise les nuages dans les branches des arbres, les oiseaux qui frôlent la crête des vagues, l’écume éblouissante, les remous incertains, la terre qui repose.

Je vagabonde, je marche, je cherche, j’appelle et l’écho me donne les réponses que j’attends, patient tranquille.

J’aime ce mouvement régulier, rectiligne, ordonné, agencé, rassurant ; cette précision mathématique, ce dosage précis, voulu, cette perspective improbable.Je maitrise, mais oui, cet espace-temps dans lequel se nichent les mots discrets de ma destinée.

Oui ! Je fais tout cela, consciemment, sciemment, appliqué comme un enfant studieux qui a compris depuis toujours, instinctivement, que là, se logeait, peut-être, l’objet de ses désirs.

Alors les souvenirs se mettent en marche, se dressent vaillamment, heureux de pouvoir dire enfin une Vérité pure. Et la ville s’anime, les marché se remplissent, les étals sont chargés de porter des péchés inavoués ; les roues font gronder les routes encombrées ; les enfants pleurent, rient, jouent, se chamaillent et les regards des mères se font plus doux. Les amants de la nuit se séparent tendrement et je m’endors fourbu pour retrouver mes rêves.

Tipasa m’a donné ce que je donne à mon tour, héritage sans prix, qui se transmet sans un mot, de père en fils, de mère en fille, de génération en génération.

Je Tipase.

© Aziz Fares - mai 2009

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