dimanche 23 mars 2008

Boualem Sansal : Harraga (Roman) - Éditions Gallimard, 2005

Deux femmes algériennes face aux traditions

Ce roman m'a dérouté, un bout de temps. Le temps de m'aclimater au style de Sansal. Le temps de bien comprendre ce que sont ces fameux "brûleurs de route" - traduction littérale du titre du roman - et l'extrapolation qui en est faite par l'auteur.

Cet ouvrage est bien plus qu'un roman. C'est au-delà de cette Algérie des années islamistes. Il s'agit bien du destin de deux femmes différentes et par l'âge et par le caractère. Mais il s'agit aussi de deux femmes seules dans une société marquée par la prééminence de l'homme.

Chérifa, jeune Oranaise de 16 ans, est libre et vit dans son époque. Elle est paumée parce qu'abandonnée. Les circonstances de la vie l'amène à Alger pour chercher refuge chez Lamia, pédiatre et vieille fille, sur les conseils de Sofiane, son frère. Ce dernier a de son côté disparu pour rejoindre la France, comme tant de jeunes harraga.
Dès lors une histoire passionnante va se nouer entre ces deux femmes, magnifiques chacune à leur façon. Lamia folle d'inquiétude pour ce frère qui a déserté et Chérifa, enceinte, qui croque la vie à pleines dents et vient bouleverser l'univers quelque peu fataliste de la pédiatre.
La relation qui s'installe entre les deuix femmes est pour le moins assez épique : à la fois tendre et violente, compliquée, dérangeante pour Lamia jusqu'à présent résignée à sa solitude hantée par le passé, tout juste troublée par l'inquiétude par rapport à Sofiane et la mélancolie de sa soeur Louiza perdue au profit d'un mari fanatique et de la disparation de son frère Yacine dans un accident de voiture. Cette joyeuse pagaille semée par Chérifa va réveiller la vie de la pédiatre et sa douce folie.
Boualem Sansal reste fidèle à une écriture magnifique, riche et efficace. Dans ce livre, il raconte une histoire vraie et en profite comme toujours pour éclairer le lecteur sur la réalité de l'Algérie : islamisme, condition féminine, traditions, corruption à grande échelle, incapacité des algériens à vaincre l'ignorance et le "mektoub". Autant de raisons pour Lamia d'entrer dans des colères folles qui donnent lieu à des morceaux de littérature pittoresques où le langage fleuri rejoint le besoin de se révolter contre un système qui confine l'individu à la résignation, à la recherche des solutions immédiates du quotidien.
On comprend alors que la narratrice, Lamia, malgré une maison enracinée dans l'Histoire de ce pays, malgré qu'elle soit entourée, dans le quartier de Rampe Valée par des demeures hantées par des personnages hors d'âge, finisse par vouloir de toute son âme sauver Chérifa de ses errements, de ses excés qu'elle sait être dangereux dans cette ville d'Alger. Cette fille irritante, attachante s'impose comme étant incontournable dans la vie de Lamia et elle reste pertubatrice, fuyante, insaisissable...
La fin de ce roman est essentielle, sublime et lourde de symboles. Nous comprendrons qu'à Jamais ces deux femmes restent liées indissolublement.
Sansal, nous livre un magnifique roman où la vie est omniprésen te et où finalement et paradoxalement elle triomphe.
Yahia

Aucun commentaire: